Droit français de la concurrence
La théorie des gains d'efficacité dans le contrôle des concentrations et des abus de position dominante
Concept et application des gains d'efficacité
La théorie des gains d'efficacité (ou d'efficience) est fondée sur l'idée que les effets positifs d'une concentration en termes d'efficacité économique ou de comportements susceptibles de relever du droit des ententes ou de l'abus de position dominante sont, dans certaines hypothèses, suffisants pour compenser ses effets anticoncurrentiels.
Justification des comportements par les gains d'efficacité
Dans sa communication relative aux abus d'exclusion, la Commission ouvre la possibilité aux entreprises en position dominante de justifier leur comportement en prouvant qu'il emporte des gains d'efficacité (ou d'efficience) de nature à compenser ses effets restrictifs.
Critères pour démontrer les gains d'efficacité
Conditions cumulatives à remplir
Pour démontrer la réalité des gains d'efficience, l'entreprise dominante devra établir avec une probabilité raisonnable et sur la base de preuves vérifiables que quatre conditions cumulatives sont remplies :
- les gains d'efficience résultent du comportement en cause ;
- il n'existe aucun moyen alternatif moins restrictif pour les réaliser ;
- les gains d'efficience compensent les atteintes à la concurrence et au bien-être du consommateur sur les marchés concernés ;
- le comportement n'élimine pas une concurrence effective en supprimant la totalité ou la plupart des sources existantes de concurrence actuelle ou potentielle.
La Cour de justice a précisé que pour justifier son comportement abusif, une entreprise en position dominante se doit de démontrer cumulativement que les gains d'efficience susceptibles d'en résulter neutralisent les effets préjudiciables probables sur le jeu de la concurrence et les intérêts des consommateurs sur les marchés affectés, que ces gains d'efficience ont été ou sont susceptibles d'être réalisés grâce audit comportement, que ce dernier est indispensable à la réalisation de ceux-ci et qu'il n'élimine pas une concurrence effective en supprimant la totalité ou la plupart des sources existantes de concurrence actuelle ou potentielle. Selon l'Autorité de la concurrence, une vente couplée ne saurait être source de gains d'efficacité dès lors que les consommateurs se voient imposer systématiquement le paiement, au demeurant dissimulé dans une offre non détaillée, d'une prestation de services qu'ils ne peuvent refuser même s'ils ne la souhaitent pas.
Évaluation des gains d'efficacité dans le droit des ententes
En droit des ententes, les gains d'efficacité peuvent créer un surcroît de valeur en abaissant le coût de fabrication d'une production, en améliorant la qualité du produit ou en permettant la création d'un nouveau produit. Ils constituent un facteur compensateur de l'effet restrictif susceptible de résulter d'une restriction horizontale ou verticale. Ainsi, selon le paragraphe 3 de l'article 101 TFUE, le paragraphe 1 ne s'applique pas lorsque l'entente contribue “à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique”. La Commission identifie la contribution au progrès économique à des “gains d'efficacité” qui peuvent être localisés dans le secteur de la production ou de la distribution et bénéficier, au-delà, à l'économie générale. Ces gains d'efficacité peuvent être quantitatifs (ex : réduction des coûts) ou qualitatifs (ex : élargissement de la gamme). Selon la Cour de justice, l'amélioration ne saurait être identifiée à tous les avantages que les partenaires retirent de l'accord quant à leur activité de production ou de distribution, avantages généralement incontestables. Elle doit présenter “des avantages objectifs sensibles, de nature à compenser les inconvénients, en résultant sur le plan de la concurrence. L'amélioration doit être objective et nette.
Impacts des gains d'efficacité sur le marché
Avantages objectifs et inconvénients pour la concurrence
Les autorités européennes ne se bornent pas à dresser un bilan économique de l’entente en évaluant exclusivement ses avantages du point de vue de l’efficacité économique immédiate, tels que la réduction des coûts, mais tiennent parfois compte de considérations plus générales, comme la protection du petit commerce, l’existence d’une crise dans le secteur ou la capacité d’innovation. Il ne suffit pas que l’entente procure des avantages objectifs : il importe que les améliorations soient suffisantes pour contrebalancer les effets restrictifs de concurrence que (l’entente) provoquerait. Un bilan des avantages objectifs et des inconvénients pour la concurrence doit être établi, et son solde doit être positif pour que la première condition de l’exemption soit remplie. À l’actif, on doit trouver les avantages objectifs que procure l’entente, et au passif, les restrictions qu’elle apporte à la liberté d’action et de choix des parties et des tiers.
Critères d'appréciation de l'Autorité de la concurrence française
Pour les autorités françaises de concurrence, le progrès économique compensant la restriction de concurrence doit être un progrès pour la collectivité dans son ensemble et non seulement pour les entreprises intéressées. Il doit être la conséquence directe des pratiques en cause, ne doit pas pouvoir être obtenu par d’autres voies et doit être suffisamment important pour justifier les atteintes à la concurrence. Le progrès économique recherché doit être identifié de façon claire, objective et mesurable, de sorte qu’il soit possible de vérifier ex post que l’objectif annoncé a effectivement été atteint. L’Autorité de la concurrence adopte l’approche dite de l’échelle mobile pour évaluer le profit tiré par les utilisateurs du progrès économique allégué. Plus la restriction constatée est grande, plus les gains d’efficacité et leur répercussion sur les utilisateurs doivent être importants. Lorsque les effets restrictifs d’un accord sont relativement limités et les gains d’efficacité substantiels, une partie équitable des réductions des coûts sera assurément répercutée sur les consommateurs. Enfin, l’accord doit être raisonnablement nécessaire à la réalisation des gains d’efficacité allégués.
Gains d'efficacité dans les opérations de concentration
Synergies et répercussions sur les consommateurs
En matière de concentrations, les gains d’efficacité désignent l’ensemble des synergies que la nouvelle entité est en mesure de réaliser à l’issue de l’opération. Ils constituent un facteur compensateur des effets restrictifs susceptibles de naître de l’opération de concentration. Une analyse concurrentielle négative peut ainsi être compensée à la fois par les gains d’efficacité attachés à l’opération, et par les mesures correctives (FR/EU) proposées par les parties. Une concentration horizontale, bien qu’elle réduise le nombre d’entreprises présentes sur le marché, et facilite la collusion et l’interdépendance oligopolistique, permet aussi à l’entreprise initiatrice d’atteindre plus rapidement une taille optimale et de réaliser des économies d’échelle (FR /EU), lesquelles pourront ensuite être répercutées sur les consommateurs. Une concentration verticale, si elle est susceptible d’éliminer des concurrents à chacun des stades du processus économique et de réduire ou supprimer toute concurrence potentielle (FR/EU), permet aux parties d’économiser des coûts de transaction et d’améliorer la recherche ou de financer leurs activités sur des marchés voisins.
Conditions de prise en compte des gains d'efficacité
Les gains peuvent être quantitatifs (réduction des coûts de production, réalisation d’économies d’échelle, nouvelles techniques de fabrication) ou qualitatifs (nouveaux produits, produits améliorés). Les gains d’efficacité sont pris en considération si trois conditions cumulatives sont réunies : ils doivent être à l’avantage des consommateurs, propres à la concentration et vérifiables et être suffisants pour compenser l’atteinte anticoncurrentielle induite par la concentration.
Charge de la preuve et calendrier de réalisation
La charge de la preuve des effets positifs de l’opération incombe aux parties, mais la difficulté de la preuve varie selon le type de gains d’efficacité. Si les répercussions sur le consommateur final de réductions du coût variable sont aisées à démontrer, tel n’est pas le cas des économies d’échelle, qui constituent pourtant l’exemple de synergie le plus souvent invoqué par les parties. La Commission exige aussi que les gains d’efficacité interviennent en “temps utile”, c’est-à-dire qu’ils ne soient pas trop éloignés dans le temps, sans préciser la notion. Même s’ils remplissaient les trois critères des lignes directrices sur les concentrations horizontales (être vérifiables, propres à la concentration et répercutables sur les consommateurs), des gains d’efficacité ne sauraient être pris en considération dès lors qu’il subsiste une incertitude majeure quant au calendrier de leur mise en oeuvre. Pour apprécier si les effets anticoncurrentiels de l’opération sont compensés par les gains d’efficacité évoqués par les parties, l’Autorité de la concurrence tient compte non seulement de leur ampleur par rapport aux effets restrictifs mais aussi de leur vitesse de réalisation.