De l'ouvrage "Contrats d'affaires" de Louis Vogel
Multiplicité des formes contractuelles
Le Code civil définit le contrat, à l’article 1101, comme un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes, destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. La première classification proposée par le Code oppose le contrat synallagmatique au contrat unilatéral. La notion de contrat est indissociable de celle d’accord de volontés. Elle est issue des termes latins contractus et contrahere, qui signifient rassembler, réunir. Ainsi, dans son acception la plus simple, le contrat prend la forme d’un échange qui repose sur le consentement des parties. Le consensualisme – par opposition au formalisme – est d’ailleurs expressément mentionné dans le Code civil à l’article 1583 qui répute parfaite la vente dès l’accord des parties sur la chose et sur le prix. Le droit des contrats est aussi gouverné par le principe de la liberté contractuelle qui laisse libre champ aux parties pour déterminer les obligations qui les lient (L’article 1102 du Code civil consacre le principe de la liberté contractuelle en précisant que chacun est libre de contracter ou non, de choisir son co-contractant, la forme et le contenu de l’accord, dans les limites cependant des règles d’ordre public.). Cette liberté induit une multiplicité des formes contractuelles. Pour fixer le cadre de ces formes diverses, le législateur en a établi une classification dans le Code civil aux articles 1105 et suivants, inspirée de la doctrine qui s’était chargée de définir différents types de contrats avant même leur consécration légale. Cette classification distingue de manière générale les contrats selon leur type, leur contenu ou leur objet, leurs conditions de formation, leur durée ou encore la qualité des contractants.
Typologie des contrats
1) Contrats nommés/Contrats innommés
L’article 1105 précise que les contrats, qu’ils revêtent ou non une dénomination, sont soumis à des règles générales. Certains contrats particuliers peuvent néanmoins relever de règles qui leur sont propres. Les contrats nommés sont ceux qui ont été spécifiquement définis par le législateur et obéissent à un régime spécial. Tel est le cas notamment du bail, du contrat d’entreprise ou de la sous-traitance. Leur régime est partiellement dérogatoire du droit commun dans la mesure où l’article 1105 prévoit que les règles générales s’appliquent sous réserve des règles particulières. A l’opposé, le contrat innommé est celui qui n’est pas légalement défini et ne bénéficie pas d’un régime propre. La distinction semble cependant artificielle dès lors que le principe de la liberté contractuelle permet aux parties de créer de toute pièce une forme d’accords qui convienne à leur relation. En outre, un contrat peut changer de catégorie. Certaines figures contractuelles initialement non réglementées, comme le crédit-bail ou la vente d’immeuble à construire, initialement contrats innommés, sont devenus des contrats nommés après leur réglementation par le législateur. D’ailleurs, l’actuel article 1105, bien qu’il se réfère à l’existence ou non d’une dénomination, souligne que les contrats sont soumis à des règles générales qui peuvent s’appliquer y compris en cas de régime propre, en cas de silence de celui-ci.
2) Contrats synallagmatiques/Contrats unilatéraux
L’article 1106 qualifie de contrat synallagmatique celui dans lequel les contractants s’obligent réciproquement l’un envers l’autre (Cass. com., 8 novembre 1972, 71-12.459, 71-12.479, qui retient que la promesse qui porte sur la cession d'un fonds de commerce et dont les énonciations déterminantes ne contiennent pas, en contrepartie de l’engagement de vendre, un engagement corrélatif d’acheter, constitue, non pas une promesse synallagmatique, mais une promesse unilatérale de vente.). Il se distingue du contrat unilatéral par la nature de l’engagement. L’absence de réciprocité de l’engagement des parties est une condition de l’unilatéralité (Cass. 1re civ., 12 juillet 2006, 04-19.511 ; Cass. 3e civ., 26 mars 2003, 01-02.410, qui rappelle que le contrat est unilatéral lorsqu'une ou plusieurs personnes sont obligées envers une ou plusieurs autres, sans que de la part de ces dernières il y ait engagement.). En effet, l’article 1106 considère que l’accord est unilatéral lorsqu’une personne s’engage envers une autre sans engagement réciproque (Sur la notion de contrat unilatéral, V. SIMON, La spécificité du contrat unilatéral, RTD civ. 2006, 209, qui souligne notamment le caractère imparfait du critère de réciprocité pour distinguer le contrat synallagmatique du contrat unilatéral.). La réciprocité ne sous-entend pas l’équivalence des prestations, sauf dispositions légales l’imposant (art. 1168). Au rang des contrats synallagmatiques, fondés sur la réciprocité, on compte la vente, le bail, l’échange ou le contrat d’entreprise. Est au contraire unilatéral, le prêt, le dépôt ou le mandat. Cependant si la nature réciproque ou non de l’engagement constitue le critère principal de distinction entre contrat synallagmatique et contrat unilatéral, il est des cas où ce critère n’est pas suffisant (Cass. com., 8 novembre 1972, 71-12.459, 71-12.479, qui considère que si une convention qui porte sur des obligations réciproques présente un caractère synallagmatique, elle n'en constitue pas pour autant une promesse synallagmatique de vente, dès lors que ces obligations ne sont pas régulièrement symétriques.). Ainsi, la doctrine qualifie de contrat synallagmatique imparfait celui qui, initialement unilatéral, change de nature au cours de l’exécution, le créancier de l’obligation principale étant tenu in fine d’obligations accessoires. Tel est le cas du dépôt où le déposant, qui, lorsque le dépôt est gratuit, ne souscrit aucun engagement, peut être obligé au remboursement des frais de conservation de la chose déposée ou des pertes occasionnées par le dépôt (art. 1947 C. civ.). Le caractère synallagmatique ou unilatéral du contrat a une incidence sur les règles de preuve et la sanction de l’inexécution des obligations. La preuve d’un contrat synallagmatique oblige au respect de la règle du double original posée par l’article 1375 du Code civil. Le texte impose que l’acte sous-seing privé qui constate le contrat soit établi, pour faire preuve, en autant d’originaux qu’il y a de parties. En revanche, lorsqu’une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible, il suffit, pour démontrer l’engagement, que l’acte sous seing privé comporte sa signature et la mention écrite de la somme ou de la quantité en lettres et en chiffres. En outre, certaines sanctions du non-respect des stipulations contractuelles, telle que l’exception d’inexécution ou la résolution de plein droit, semblent réservées aux engagements réciproques. En effet, l’exception d’inexécution suppose que l’une des parties refuse d’exécuter son obligation en représailles du défaut d’exécution de l’autre, ce qui est inenvisageable dans un contrat unilatéral. De même, la résolution qui résulte soit de l’application d’une clause résolutoire, soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur, ne semble pas, sauf l’hypothèse de résolution judiciaire, concerner l’engagement dépourvu de réciprocité.
3) Contrats à titre onéreux/Contrats à titre gratuit
L’article 1107 distingue le contrat à titre onéreux et celui à titre gratuit. Le contrat est à titre onéreux lorsque chaque partie reçoit un avantage de l’autre en contrepartie de celui qu’elle procure (Cass. com., 16 décembre 2014, 13-25.765, qui retient que l’acte de partage, qui comporte une contrepartie, ne peut être qualifié d'acte à titre gratuit.). Il est à titre gratuit lorsque l’avantage est procuré sans contrepartie. Auparavant, le Code civil définissait le contrat à titre onéreux comme celui par lequel une partie s’obligeait envers une autre à donner ou faire quelque chose. La contrepartie ne doit, au moment de la formation du contrat, être ni illusoire ni dérisoire sous peine de nullité (art. 1169). Cette condition remplace l’exigence d’une cause licite que l’ordonnance de 2016 (Ord. 2016-131 du 10 février 2016. Sur la notion de contrepartie, V. MOYA, La contrepartie, RTD civ. 2023, 269.) a abandonnée au profit de celle de contrepartie, plus proche d’une vision économiste du contrat (RASANDRATANA, Essai d’une analyse économique de la notion de contrepartie en droit des contrats, RTD com. 2021, 1.). Le caractère onéreux ou gratuit concerne en principe indifféremment les contrats synallagmatiques ou unilatéraux (Pour un ex. de contrat unilatéral à titre onéreux, V. Cass. 1re civ., 5 avril 2005, 02-16.926, qui présume onéreux le contrat de dépôt d’un véhicule auprès d’un garagiste, accessoire à un contrat d’entreprise.). Cependant, le législateur ayant pris le soin de préciser que l’engagement est gratuit lorsque la partie qui confère l’avantage n’attend ni ne reçoit de contrepartie, on voit mal dans ce cas comment elle pourrait être liée par un engagement réciproque.
4) Contrats commutatifs/Contrats aléatoires
Lorsque chacune des parties s’engage à procurer à l’autre un avantage équivalent de celui qu’elle reçoit, le contrat revêt un caractère commutatif. Le contrat commutatif est en règle générale un contrat à titre onéreux dont la contrepartie de l’avantage est connue par les parties dès la formation. Il n’est pas exigé une équivalence stricte. En effet, il suffit que l’avantage soit regardé comme équivalent. Lorsque les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat quant aux avantages et aux pertes d’un événement incertain, le contrat devient aléatoire. Les contrats aléatoires le sont généralement par nature, tels que le contrat d’assurance ou la rente viagère, mais ils peuvent aussi l’être par l’effet de la volonté des parties. Ainsi un contrat commutatif peut devenir aléatoire. L’exemple classique est celui du contrat de vente conclu par les parties à leurs risques et périls, notamment en stipulant une clause de non-garantie du fait des tiers (V. pour un ex. Cass. com., 21 novembre 2018, 17-21.467.). Le contrat aléatoire est également un acte à titre onéreux puisque, même si l’avantage dépend d’un aléa, il existe une contrepartie, même incertaine. L’absence d’aléa est assimilable à l’absence de contrepartie et entraîne la nullité du contrat puisque l’article 1169 exige une contrepartie qui ne soit ni illusoire ni dérisoire. En revanche, les parties à un contrat aléatoire ne peuvent invoquer ni l’erreur, ni la lésion puisqu’elles ont accepté le risque recelé par l’aléa.
5) Contrats consensuels/Contrats solennels/Contrats réels
Par principe, le contrat est consensuel (art. 1172, al. 1). Il se forme par le seul échange des consentements des parties quel que soit son mode d’expression (art. 1109, al. 1). Il en est ainsi de la vente ou du bail qui se forme par le seul accord des parties sur la chose et sur le prix. Ce principe connaît cependant deux exceptions. La validité du contrat peut être soumise à des formes déterminées par la loi (art. 1109, al. 2). Dans ce cas, le contrat est solennel et le non-respect des formes imposées l’expose à la nullité, sauf possible régularisation (art. 1172, al. 2). Il prend en règle générale la forme d’un écrit (Il en est ainsi du gage sur meubles corporels qui est parfait par l’établissement d’un écrit (art. 2336 C. civ.). Avant l’ordonnance du 23 mars 2006, le gage appartenait à la catégorie des contrats réels.), par acte authentique ou sous signature privée. Les courriels échangés entre les parties peuvent être considérés comme l’écrit requis par la loi (Cass. 1re civ., 11 juillet 2018, 17-10.458.). Le caractère solennel ne peut résulter que de la loi et non de la volonté des parties. Ce formalisme de protection ou d’information s’illustre particulièrement en droit des affaires, notamment en cas de cession de contrat (Le mandat conclu pour l’achat d’espaces publicitaires doit revêtir la forme d’un écrit. La cession de droit sociaux ou d’un titre de propriété intellectuelle doit impérativement être constatée par écrit.). La seconde exception concerne le contrat réel dont la formation est soumise à la remise d’une chose (art. 1109, al. 3, et 1172, al. 3). L’existence du contrat, au-delà du consentement, est dans ce cas subordonnée par la loi à la remise de la chose, qui constitue une condition de validité de sa formation. Le prêt, lorsqu’il a lieu entre particuliers, constitue un contrat réel (Cass. 1re civ., 7 mars 2006, 02-20.374, qui considère que le prêt qui n'est pas consenti par un établissement de crédit est un contrat réel qui suppose la remise d'une chose.), au contraire de celui qui est octroyé par un professionnel du crédit (Cass. 1re civ., 28 mars 2000, 97-21.422, qui retient que le prêt consenti par un professionnel du crédit n’est pas un contrat réel.).
6) Contrats de gré à gré/Contrats d’adhésion
Est de gré à gré, le contrat dont les stipulations sont négociables entre les parties, alors qu’est d’adhésion, celui dont les clauses, déterminées à l’avance par l’une des parties, ne sont pas négociables par l’autre (art. 1110 C. civ.). Cette opposition, issue du droit allemand, à l’origine purement doctrinale (DEREUX, La nature juridique des contrats d'adhésion, RTD civ. 1910. 503 ; BERLIOZ, Le contrat d'adhésion, 1975, LGDJ.), a été insérée par l’ordonnance de 2016 dans le Code civil (VESSIO, Le contrat d’adhésion à l’aune du système économique. Un enjeu d’ordre public économique entre volonté et consentement, JCP E 2022, 1334 ; ANDREU, Le nouveau contrat d’adhésion, AJ Contrat 2018, 262 ; REVET, .Les critères du contrat d’adhésion, D. 2016, 1771.). Le contrat de gré à gré illustre parfaitement le principe de liberté de contracter à l’origine du droit des contrats et du supposé équilibre entre des parties libres de négocier les clauses qui les lient et qui leur tiennent lieu de loi. Avant même sa consécration légale, le contrat d’adhésion existait sous diverses formes. On pense notamment aux contrats d’assurance ou à certains contrats de distribution. Il était appréhendé souvent sous l’angle des clauses abusives ou de l’abus de dépendance, et par conséquent de dispositions spécifiques. Ainsi, l’article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce réprime le fait de soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, le critère principal de la soumission étant l'absence de négociation effective (Paris, 20 décembre 2017, 13-04879, 13-11192.). Le Code de la consommation, en son article L. 212-1, déclare abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Le législateur, en 2016, s’est inspiré de ces règles pour prévoir à l’article 1171 que dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. La question de l’articulation entre ces trois dispositions se pose. Si d’emblée, la coexistence de dispositions quasi-identiques entre le Code civil et le Code de la consommation peut ne pas sembler problématique, dans la mesure où le Code de la consommation ne concerne que les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur ou non-professionnel, celle de l’article L. 442-1, I, 2° et de l’article 1171 risque de soulever des difficultés d’interprétation. En effet, en dépit de conditions de mise en œuvre différentes, les articles L. 442-1, I, 2° et 1171 visent au même objectif : la sanction des clauses déséquilibrées. Rien n'interdit donc d'invoquer les deux fondements alternativement, ou cumulativement, notamment pour demander réparation du préjudice causé par l'insertion dans le contrat d'une clause non écrite. Les premières décisions rendues sur la question de l'articulation des deux corps de règles confirment que l'une peut s'appliquer lorsque les conditions d'application de l'autre ne sont pas remplies. Ainsi, l'inapplicabilité de l'article L. 442-1, I, 2° à la location financière n'exclut pas la mise en œuvre de l'article 1171 du seul fait que le premier est considéré comme un texte spécial (Cass. com., 26 janvier 2022, 20-16.782, Contrats Conc. Consom. 2022, n° 40, obs. LEVENEUR ; D. 2022, 539, obs. TISSEYRE.). Enfin, l’article 1190 du Code civil précise que dans le doute, l’interprétation du contrat de gré à gré se fait contre le créancier en faveur du débiteur, et, pour le contrat d’adhésion, contre celui qui l’a proposé.
7) Contrats cadres/Contrats d’application
Le contrat cadre définit les caractéristiques générales des relations contractuelles futures dont les modalités d’exécution sont précisées par les contrats d’application (art. 1111 C. civ.). Cette figure contractuelle, conceptualisée par la doctrine (GHESTIN, La notion de contrat-cadre et les enjeux théoriques et pratiques qui s’y attachent, Cah. dr. entr. 1997, n° 3-4, 7 ; VOGEL, Plaidoyer pour un revirement : contre l’obligation de détermination du prix dans les contrats de distribution, D. 1995, 155.) et consacrée par l’ordonnance de 2016 (Le contrat-cadre, développements récents, AJ contrat 2017, 103.), s’illustre particulièrement en droit de la distribution. Ainsi, le contrat de distribution exclusive constitue un contrat cadre, dont les parties fixent librement le contenu. Elles se mettent d'accord sur les obligations essentielles, qui seront concrétisées par une série de contrats d'application, tels que des contrats de vente ou de prestation de services. Le contenu du contrat peut n'être défini que de manière très générale. Seuls les contrats d'application présentent une offre ferme et précise et réalisent ainsi progressivement l'objectif global fixé par le contrat cadre. L’article 1164, qui consacre en partie la jurisprudence en la matière, prévoit que dans les contrats cadres, les parties peuvent convenir que le prix sera fixé par l’une d’elles, à charge pour celle-ci d’en motiver le montant en cas de contestation. Cette dernière précision fait peser la charge de la preuve sur la partie qui fixe le prix alors qu’auparavant elle pesait sur celle qui se plaignait d’un abus. L’abus dans la fixation du prix reste sanctionné par des dommages-intérêts ou la résolution du contrat. Si le contrat d’application est un contrat de vente, son prix devra, en revanche, conformément à l’article 1591, être déterminé et désigné par les parties. S’il s’agit d’un contrat de prestation de services, le prix peut, à défaut d’accord des parties avant son exécution, être fixé par le créancier qui devra justifier son montant en cas de contestation (art. 1165).
8) Contrats à exécution instantanée/Contrats à exécution successive
Le contrat dont les obligations s’exécutent en une prestation unique constitue un contrat à exécution instantanée, alors que celui à exécution successive voit ses prestations multiples s’échelonner dans le temps (art. 1111-1 C. civ.). La vente est souvent un contrat à exécution instantanée qui porte sur une chose unique payée et livrée dans la foulée. Le contrat de bail ou d’abonnement téléphonique constitue en revanche un contrat à exécution successive dont les prestations s’échelonnent dans le temps. Au critère quantitatif de l’exécution instantanée – une prestation unique – s’opposent la quantité – plusieurs prestations –, et la temporalité – échelonnement dans le temps –,de l’exécution successive. Cependant, la distinction n’est pas toujours aussi évidente. L’article 1111-1 précise que le contrat à exécution instantanée peut porter sur une prestation unique. Des prestations distinctes ou identiques à exécution échelonnée dans le temps peuvent constituer un tout qui doit être fourni en une seule fois. Un contrat peut, au contraire, être composé d’obligations instantanées qui s’exécutent de manière échelonnée dans le temps. Avant sa consécration légale par l’article 1111-1 du Code civil, la Cour de cassation a précisé le régime du contrat à exécution successive. Elle a estimé que le contrat dans lequel aucun terme n'est prévu n'est pas nul, mais constitue une convention à durée indéterminée que chaque partie peut résilier unilatéralement, à condition de respecter un juste préavis (Cass. com., 8 février 2017, 14-28.232, AJ contrat 2017, 222, obs. CATTALANO-CLOAREC ; D. 2017, 678, note ETIENNEY-DE SAINTE MARIE ; RTD civ. 2017, 389, obs. BARBIER ; 31 mai 1994, D. 1994, 162, qui accord à chacune des parties la possibilité de rompre unilatéralement le contrat à exécution successive.). La résolution n’opère, dans ce cas, que pour l’avenir et non pas pour le temps où la convention a été régulièrement exécutée, sauf si l’inexécution ou l’exécution imparfaite a eu lieu dès l’origine. L’article 1229 du Code civil précise désormais que lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l'intégralité de ce qu'elles se sont procuré l'une à l'autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l'exécution réciproque du contrat, il n'y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n'ayant pas reçu sa contrepartie; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation.
9) Contrats à durée déterminée/Contrats à durée indéterminée
Le contrat peut être conclu pour une durée déterminée. Dans ce cas, chaque partie s’oblige à l’exécuter jusqu’à son terme (Cass. com., 12 novembre 1996, 94-14.329, D. aff. 1997, 248.), le renouvellement ne pouvant être exigé (art. 1212 C. civ.). Le terme peut être incertain mais doit dépendre d’un événement dont la survenue est certaine (Cass. com., 6 novembre 2007, 07-10.564, JCP 2008, I, 147, obs. CAUSSAIN, RTD civ. 2008, 104, obs. FAGES, qui considère que dès lors que le terme d’un pacte d’actionnaire n’est affecté d’aucun terme, même incertain dès lors qu’il prévoit que le pacte s’appliquera aussi longtemps que des sociétés ou leurs substitués demeureront ensemble actionnaires, le pacte doit être requalifié en contrat à durée indéterminée.). Si, avant son expiration, les parties en manifestent le souhait, le contrat à durée déterminée peut être prorogé, à condition de ne pas porter atteinte aux droits des tiers (art. 1213). En cas de renouvellement par l’effet de la loi ou par l’accord des parties, un nouveau contrat au contenu identique naît, mais pour une durée indéterminée (art. 1214). Si à l’expiration du terme du contrat à durée déterminée, les parties continuent d’exécuter leurs obligations, le contrat se poursuit par tacite reconduction, avec les mêmes effets que le renouvellement (art. 1215). La nature déterminée du contrat n’exclut pas de facto la rupture avant terme. En effet, cette rupture peut être organisée légalement, comme en matière de bail ou de mandat, ou reposer sur une inexécution suffisamment grave de ses obligations par le cocontractant, ainsi que le prévoit l’article 1224 du Code civil. Le contrat peut également être conclu sans détermination de durée. Les engagements perpétuels étant prohibés (art. 1210), chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis prévu par le contrat ou à défaut, un délai raisonnable (art. 1211). En principe, la décision de rompre n’a pas à être motivée dès lors qu’un préavis est respecté (Cass. com., 1er juillet 2003, 01-00.191.). Les juges contrôlent en revanche le caractère raisonnable du préavis, même contractuellement fixé (Paris, 16 octobre 2008, 05-10213.). Une clause fixant un préavis trop court au regard de la durée de la relation sera écartée par le juge (Lyon, 10 avril 2003, 01-06057.).
10) Contrats intuitu personae
Certains contrats sont conclus en considération de la personne. La personnalité de l'une des parties est, dans ce cas, tenue pour essentielle, en raison de ses aptitudes particulières ou de la nature du service attendu d'elle. Il en est ainsi pour les contrats à titre gratuit, mais aussi et surtout, pour le mandat ou les contrats de distribution comme la distribution exclusive ou sélective (Cass. com., 1 mars 2011, 10-12.144) ou la franchise. L’intuitus personae peut reposer sur des qualités objectives ou subjectives du cocontractant. En matière de distribution, le principe a été posé de la liberté de choisir son cocontractant, dès lors que les critères retenus sont précis et objectifs (Dijon, 1er avril 2004, 03-01547). Cette liberté est expressément consacrée à l’article 1102 du Code civil depuis la réforme introduite par l’ordonnance de 2016, qui dispose que chacun est libre de choisir son cocontractant. La bonne foi contractuelle n'impose pas non plus à la tête d'un réseau de distribution sélective quantitative de motiver son refus d'agrément (Paris, 23 octobre 2019, 19-07878). L’atteinte à l’intuitus personae peut cependant justifier la résolution du contrat. Ainsi, l'agent commercial qui n'informe pas le mandant de la démission de son gérant, alors que le contrat d'agence contient une clause d’intuitus personae qui soumet à agrément ce type d'évènement, commet une faute grave (Cass. com., 29 juin 2022, 20-11.952). De même la rupture immédiate d'un contrat de concession au cours du préavis de rupture est justifiée lorsque le concessionnaire a violé la clause d’intuitus personae en n'informant pas le concédant de sa cession à un tiers (Paris, 11 mai 2022, 21/02542). Enfin, aux termes de l’article 1134 du Code civil, l’erreur sur les qualités essentielles de la personne constitue pour le contrat conclu intuitu personae une cause de nullité.
Réforme du droit des contrats
Dans son rapport au président de la République (Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, JO 11 février 2016.), le Gouvernement justifie la réforme du droit des contrats par les nécessités économiques liées à la mondialisation, et notamment les rapports de la Banque mondiale qui présentent le droit français comme un droit complexe, imprévisible et peu attractif. La réforme a, ainsi, pour objet de favoriser son accessibilité et sa lisibilité, tout en renforçant le consensualisme propice aux échanges économiques et à la protection des parties plus faibles.
Conçu à une époque où la France était dominée par le libéralisme, notre droit des contrats obéissait à des principes fondamentaux communs à tous les droits occidentaux, favorables à l’activité économique : la liberté contractuelle, la force obligatoire du contrat, la neutralité et l’office du juge. Portant sur environ 300 articles, la réforme du droit des contrats a modifié cet équilibre.
Synthèse des travaux doctrinaux menés par les professeurs Catala (2005) et Terré (2013), l’ordonnance du 10 février 2016 s’inspire également de la pratique contractuelle. La réforme tend à rendre le droit des obligations plus lisible, plus accessible, plus efficient et plus attractif, ainsi qu’à renforcer la protection de la partie faible. Outre une codification à droit constant de solutions jurisprudentielles, le texte rationalise la structure du Livre III du Code civil en définissant et classifiant des contrats, notamment issus de la doctrine ou de la pratique (contrats cadre/contrats d’application, contrats à exécution successive, contrats d’adhésion). Elle introduit une section dédiée à la formation du contrat, notamment les avant-contrats (promesse unilatérale de vente, pacte de préférence), la notion de caducité et la distinction entre nullité relative et absolue.
La réforme a introduit quelques innovations marquantes. Ainsi l’article 1112 du Code civil instaure le principe de liberté des pourparlers. Cette liberté est cependant limitée par l’obligation pour les négociateurs de les mener de bonne foi. Aux termes de l’article 1104, celle-ci préside désormais non plus seulement à l’exécution du contrat mais également à sa négociation et à sa formation. L’instauration de l’obligation de bonne foi dès la formation du contrat soulève toutefois la question de son articulation avec les vices du consentement.
L’ordonnance de 2016 a également introduit à l’article 1112-1 un devoir général d’information précontractuel, qui, d’ordre public, ne peut être ni limité, ni exclu par les parties. Le devoir d’information recouvre toutes les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contrat. Les critères d’ignorance légitime de l’information et de confiance dans le contractant, retenus par l’article 1112-1, subjectivisent, cependant, le devoir d’information. Ils soumettent le débiteur de l’obligation à un devoir de renseignement sur l’information déterminante du consentement du cocontractant et à un devoir de recherche de celle-ci. Aussi la généralisation du devoir d’information à tous les contrats pose-t-elle la question de la coordination entre droit commun et droit spécial tout en risquant de rendre l’appréciation des obligations d’information précontractuelle imposées par des droits spéciaux plus subjective.
Le texte consacre aux articles 1113 à 1122 la majeure partie des solutions dégagées par la jurisprudence à l’origine du régime de l’offre et de l’acceptation. La théorie de l’émission selon laquelle l’émission de l’acceptation rend le contrat parfait est abandonnée au profit de la théorie de la réception. Le contrat est conclu dès que l’acceptation est parvenue à l’offrant. Le régime des promesses unilatérales est renforcé. Si désormais la rétractation de l’offre ne peut donner lieu à la formation forcée du contrat, tel n’est pas le cas de la révocation de la promesse unilatérale définie à l’article 1124, dont l’alinéa 2 précise que la révocation pendant le temps laissé pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis.
L’ordonnance étend par ailleurs la violence, vice du consentement, à l’abus de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant. Au-delà de la jurisprudence assimilant l’exploitation abusive d’une situation de dépendance à la violence, l’article 1143 du Code civil vise toutes les hypothèses de dépendance. La notion d’état de dépendance n’étant pas définie, il est à craindre une extension sans limite du domaine d’application du vice de violence qui pourrait nuire aux petites entreprises perçues comme des partenaires dépendants.
La lutte contre les clauses abusives constitue, aussi, l’une des innovations majeures de l’ordonnance de 2016. Ainsi, l’article 1171 répute non écrite toute clause, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, dans tous les contrats d’adhésion. L’introduction de la notion de clause abusive dans le Code civil pose la question de l’articulation de ce nouveau régime avec ceux existant en droit de la consommation ou des pratiques restrictives. Si le risque est moindre en droit de la consommation, qui accorde une meilleure protection en prévoyant notamment une liste de clauses noires et grises, il est plus élevé pour les personnes susceptibles d’invoquer tant le droit commun que celui des pratiques restrictives. Les premières décisions rendues confirment, d’ailleurs, que l’un des corps de règles peut s’appliquer lorsque les conditions d’application de l’autre ne sont pas remplies (Paris, 17 mars 2023, 21/10782).
Finalement, la réforme présente en pratique un bilan mitigé car la modernisation du droit, nécessaire et positive, se trouve occultée par le choix idéologique du protectionnisme juridique et de la judiciarisation des conventions. Le nouveau droit fragilise la force obligatoire du contrat à chaque étape du processus contractuel, avec, au stade de sa formation, la généralisation du principe de bonne foi, l’instauration du devoir d’information précontractuel, l’assimilation de tout abus de dépendance à la violence, et plus généralement l’instauration d’une véritable faculté de remise en cause du contrat, avec la révision pour imprévision et le réputé non écrit de toute clause créant un déséquilibre entre les droits et obligations des parties dans les contrats d’adhésion.
Vers une approche plus économiste du droit des contrats
Abandonnant la vision traditionnelle selon laquelle le fondement du droit des contrats se trouve dans l’obligation – subjective – des parties de respecter leurs promesses, le texte issu de la réforme met désormais l’accent sur le fait qu’un contrat repose d’abord et avant tout sur un échange – objectif – de biens ou de prestations qui a pour conséquence d’aboutir à une allocation plus efficiente des ressources.
Dans cette approche conséquentialiste, la recherche de l’efficience économique constitue l’objectif principal, sinon exclusif. Ainsi, ce qui est efficient au moment de la conclusion du contrat ne le sera plus nécessairement au moment de son exécution. Ce raisonnement conduit à une véritable révolution copernicienne : une inexécution peut être plus efficiente qu’une exécution si les deux parties y gagnent et que personne n’y perd et il faut alors permettre aux parties de sortir du contrat.
La consécration de la théorie de l’imprévision en droit civil, déjà admise en droit administratif où elle s’explique par des raisons propres à la matière, illustre parfaitement ce raisonnement. L’article 1195 du Code civil consacre désormais la possibilité de réviser les conditions convenues, en particulier le prix, en cas de changement de circonstances imprévisibles. L’introduction du raisonnement économique n’est, à l’évidence, pas sans conséquence sur la sécurité juridique des parties dont de nombreux commentateurs estiment qu’elle n’est plus suffisamment assurée. Malgré les trois étapes prévues par le texte, qui vont du commun accord des parties à l’intervention du juge pour parvenir à la révision, les conditions de l’imprévision semblent insuffisamment encadrées. Plusieurs interrogations subsistent : de quel type de circonstances doit-il s’agir, économiques, juridiques, techniques ? Comment s’apprécie l’imprévisibilité ? Faut-il se référer à la force majeure telle que définie par l’article 1218, qui s’apparente à un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées qui empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ? Quand peut-on considérer qu’une exécution est excessivement onéreuse ? La question se pose également de l’opportunité de confier au juge un pouvoir de révision discrétionnaire à l’initiative de l’une des parties. Les incertitudes – inhérentes à l’approche économique – expliquent que l’« économisation » du droit des contrats ne se voit reconnaître qu’une portée limitée : le texte revêtant un caractère supplétif, il peut être écarté par une clause d’acceptation du risque d’imprévision ou aménagé soit par une clause d’intangibilité ou d’éviction de l’article 1195, soit une clause de renégociation ou de sauvegarde.